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Mukoko, 2 octobre 2014 : l’histoire d’une amitié trompeuse qui a ouvert la voie au massacre

Cela fait onze ans, le 2 octobre 2014, que le village de Mukoko, à sept kilomètres au nord d’Oicha, a été frappé par les combattants d’Allied democratic Forces (ADF), lors du premier massacre d’une série tragique. Cette soirée marque le début d’un long cauchemar pour les habitants, rendu possible par la fausse amitié que certains entretenaient avec ces rebelles.

À l’époque, personne ne soupçonnait la menace. Les ADF passaient, achetaient des vivres, plaisantaient avec les villageois et sollicitaient parfois leur aide pour transporter des sacs. Cette proximité a créé un faux sentiment de sécurité.

« Ils venaient de Mapubu Carrière, où se trouvait leur base », raconte Kasero, habitant de Mukoko, interrogé par Trésor Kapepela Ben : « On ignorait la menace que représentaient réellement les ADF. On pensait qu’ils s’attaquaient uniquement à l’armée, pas aux civils. Ils passaient souvent ici, nous saluaient, achetaient nos produits… parfois même, nous les aidions à porter leurs affaires en brousse ».

Mais ce soir-là, à 19 heures, la tranquillité de Mukoko est rompue. Des silhouettes armées surgissent sur la RN4 : hommes, femmes et enfants armés de fusils, machettes et haches. Les ADF avancent depuis leur base de Mapubu Carrière, prêts à semer la mort et la terreur.

Quand la confiance devient piège

Les ADF encerclent le village par le sud et progressent vers le nord, jusqu’à l’avenue Ngilingili. Le chasseur Jean-Pierre Mbale, dit JP, ancien pisteur des FARDC, est abattu sur le champ. Les boutiques sont pillées, les animaux emportés.

Un civil, Amoti, refuse de suivre les assaillants : « Siezi ba fata muniuwe » (je ne vous suivrai pas, tuez-moi), dit-il en swahili. Il est exécuté sur place. Deux autres, Jérôme et Paluku Kibotine, sont capturés puis réussissent à s’échapper après avoir croisé une patrouille des FARDC.

La peur s’installe. Certains croient à un incident isolé. Mais deux semaines plus tard, Maibo Kisiki, Mayi-Moya, Eringeti, Oicha, Vemba et Beni-ville subissent le même sort. Les victimes sont principalement des civils, tués à la machette ou à la hache.

Les rumeurs et la confusion

Au lendemain des premiers massacres, de nombreuses rumeurs circulent.Certains accusent les FARDC, et notamment le général Muhindo Akili Mundos, de complicité avec les ADF. Certains affirment même qu’il agissait sur ordre du président Joseph Kabila.

Mais le procès des présumés ADF, tenu à Beni entre 2014 et 2017, sous la supervision du général Timothée Mukutu Kiyana, ne confirme rien. Lors de sa comparution du 13 novembre 2017 devant la Cour militaire, le général Mundos rejette toutes les accusations, niant tout lien avec les rebelles. Aucune preuve formelle n’établit sa responsabilité. Il a été blanchi dans cette affaire.

Selon Trésor Kapepela Ben, les assaillants étaient bien des ADF, un groupe armé brutal dont l’idéologie « ne reflète en rien les valeurs de l’Islam, religion de paix ».

Pourquoi Mukoko a payé le prix

Mukoko, village des Mvuba, faisait partie du groupement Bambuba-Kisiki, tout comme Mayi-Moya, Eringeti, Kisiki, Kokola et Upira. Plusieurs habitants y entretenaient des liens étroits avec les ADF avant les massacres, certains avaient même contracté des mariages avec eux.

Les rebelles venus de Mapobu Carrière, sous la direction de Mohamed Kahira (tué par les FARDC en 2018), avaient choisi Mukoko pour sa proximité avec la RN4 et pour leur facilité de contact avec la population.

Un cauchemar qui s’étend

Onze ans plus tard, les massacres ne se limitent plus à Mukoko ou au territoire de Beni. Les ADF continuent de semer la terreur dans les territoires voisins de Lubero, Mambasa et Irumu en Ituri. Malgré les opérations militaires et les initiatives locales de paix, les habitants vivent dans la peur. Ils savent que la naïveté et la confiance mal placée peuvent encore servir de porte d’entrée aux pires horreurs.

La tragédie de Mukoko, reste un rappel amer. la confiance naïve envers des “amis” peut devenir la pire des trahisons.

Roger KAKULIRAHI

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